« Travailler avec des artistes tels que Bébé Bérard, Jean Cocteau, Salvador Dalí, Vertès
et Van Dongen, avec des photographes comme Honingen-Huene, Horst, Cecil Beaton et Man Ray,
avait quelque chose d’exaltant. On se sentait aidé, encouragé, au-delà de la réalité matérielle
et ennuyeuse, qu’est la fabrication d’une robe à vendre. »
Shocking life, Elsa Schiaparelli – 1954
Elsa Schiaparelli, détail de la Cape « Phoebus », hiver 1937-1938
Laine et broderie. Musée des Arts Décoratifs. Don Elsa Schiaparelli, UFAC, 1973
© Valérie Belin
Dans notre époque contemporaine qui
conçoit le dialogue étroit entre mode
et art comme une évidence, plus que
jamais Elsa Schiaparelli semble de notre
temps, en couturière « inspirée » comme
elle aimait à se définir elle-même. Élevée
dans un milieu humaniste et érudit,
Elsa Schiaparelli (1890-1973) a embrassé
la mode en ne reniant jamais sa profonde
fascination pour l’art et pour les artistes,
tout en devenant autant créatrice que
femme d’image, s’amusant de la haute
couture comme d’un kaléidoscope, robes
du soir, tenues de ville, modèles sport,
accessoires, et parfums. Esquivant les
pesanteurs d’un milieu social, elle lui
offre la liberté d’explorer les formes et les
inspirations, celles qu’elle construit avec
fougue et humour avec ses amis artistes,
dont nombre la considère pleinement
artiste elle-même.
Elsa Schiaparelli en collaboration avec Salvador Dalí, Robe du soir, 1937
Soie
© Philadelphia Museum of Art
Mêlant approches thématiques
et chronologiques, l’exposition s’organise
sur deux niveaux autour des moments-
clés de l’œuvre d’Elsa Schiaparelli,
enchaînant les collections les plus
remarquables, d’année en année, dont
certaines, en lien avec les artistes
complices, fonctionnent telles les sources
sensibles de sa créativité. Irriguant
le parcours de l’exposition, ces thèmes
artistiques rythment les étapes de la vie
d’Elsa Schiaparelli. La salle d’introduction,
espace spectaculaire, immersif, plonge
le visiteur dans un environnement total
dédié aux dessins des collections
de Schiaparelli conservés par centaines :
ils mettent en évidence l’étendue
de l’œuvre de la couturière. L’éveil
de l’artiste à la mode et à la modernité
est exploré ainsi que le rôle déterminant
du couturier Paul Poiret dont elle fait
la connaissance en 1922. Véritable mentor,
il révèlera sa vocation de couturière.
Elsa Schiaparelli confectionne alors des
sweaters à motifs en trompe-l’œil, idée
aussi géniale que radicale, et s’éveille
parallèlement au goût de l’Art déco
notamment au contact de Jean Dunand
qui signe pour elle une robe raffinée
dont les plis sont peints à la laque.
Puis elle inaugure une riche série
de collaborations qui illuminent une
constellation d’artistes : ainsi Elsa Triolet,
Jean Cocteau et Salvador Dalí pour ses
collections de mode et d’accessoires.
-
Salvador Dalí, Poudrier téléphone, 1935
Résine et métal
© Archives Schiaparelli © Salvador Dalí, Fundació Gala - Salvador Dalí / Adagp, Paris
-
Jean Clément, Collier, 1938
Métal doré monté sur tissu. Musée des Arts Décoratifs
© Photo : Les Arts Décoratifs / photo : Jean Tholance © Adagp, Paris, 2022
Elle développe son sens aigu du détail
à travers des modèles largement inspirés
par l’esthétique surréaliste, détournant
motifs et matériaux les plus étonnants :
plastiques transparents, boutons
en forme d’écrevisse, « poches tiroirs »,
homards. Elle inspire tout autant Man Ray
et devient son modèle : de nombreuses
photographies témoignent de cette
complicité fructueuse.
L’exposition se poursuit avec les
collections thématiques qu’Elsa
Schiaparelli initie seule autour des
sources d’inspirations qui lui sont chères :
l’Antiquité italienne, la nature et la musique.
La collection « Païenne » est un clin
d’œil à l’Antiquité en référence aux
métamorphoses d’Ovide, la collection
« Papillon » est une ode aux insectes
(source d’inspiration partagée avec
les artistes surréalistes), la collection
« Musique » de 1939 semble étirer
et allonger à l’infini la silhouette
de la femme moderne.
George Platt Lynes, Salvador Dalí, 1939
Photographie
© Estate of George Platt Lynes
Le tandem
mythique formé par Elsa Schiaparelli
et Salvador Dalí, mué par un goût
piquant du scandale et de la provocation
artistique, est mis en lumière dans une
salle qui lui est dédiée révélant l’iconique
« robe homard » ou le célèbre « chapeau
chaussure », sorte de bibi surréaliste.
Le second étage s’ouvre sur une
reconstitution des salons de couture
d’Elsa Schiaparelli, alors situés au 21 place
Vendôme à Paris qu’elle inaugure en 1935.
Pour l’aménagement et la décoration
des intérieurs, elle fait appel à Jean-
Michel Frank pour ses lignes épurées,
ultra chic et élégantes. Elle y habille les
extravagantes de la planète et y acquiert
une renommée internationale.
Leonor Fini et Fernand Guéry-Colas, Flacon de parfum Shocking, 1937
Cristal et verre
© Archives Schiaparelli © Adagp, Paris, 2022
La « cage aux parfums » révèle l’écrin
de ses originales créations olfactives
dont le fameux « Shocking » qui deviendra
un succès mondial, donnant tout son
sens au génial sens du marketing
de la créatrice.
L’accent est également mis sur l’art
complexe et luxueux de la broderie :
Elsa Schiaparelli fait en effet appel
à la maison Lesage pour la réalisation
des broderies sur mesure comme le font
de nombreuses maisons de couture
depuis 1924. Les collections des années
1938 et 1939 convoquent l’imaginaire
de la « commedia dell’arte », s’inspirant
des personnages de la comédie italienne
du XVIIIe siècle, haute en couleurs,
la collection dite « astrologique » à laquelle
elle mêle des références baroques
liées à Versailles et au Roi Soleil, avec
la célébration du XVIIe siècle français,
et enfin la collection « Cirque » avec ses
somptueux boléros brodés de chevaux,
d’acrobates et d’éléphants. Les créations
d’avant-guerre montrent une silhouette
cigarette plutôt étroite tandis que celles
de l’après-guerre sont plus amples
et plus construites.
Marcel Vertès, Schiaparelli, 21 place Vendôme, 1953
Collage et peinture sur panneau
© Archives Schiaparelli
Le parcours s’achève sur les silhouettes
contemporaines réalisées par Daniel
Roseberry avec un final spectaculaire
traduisant avec sensibilité et force
l’inspiration surréaliste de son éminente
fondatrice.
En vingt-cinq ans, Elsa Schiaparelli fait
de la mode une respiration naturelle
de l’avant-garde, un terrain de jeux
où réinventer autant la femme que
la féminité, l’allure autant que l’esprit,
en une œuvre qui reste d’une actualité
saisissante. Elle incarne une vision
d’un Paris éclatant et vibrant, curieux
de tout, s’amusant de chaque nouveauté.
Elsa Schiaparelli, Robe du soir, Été 1939
Soie. Musée des Arts Décoratifs
© Les Arts Décoratifs / photo : Christophe Dellière
C’est cette incroyable liberté de création
que l’exposition souhaite offrir aux
visiteurs, liberté de surprendre, liberté
de dialoguer, liberté d’être soi-même,
à travers modèles, dessins et bijoux dont
nombre d’entre eux, des milliers pour les
dessins en particulier, ont été donnés
en 1973 par Elsa Schiaparelli à l’Union
française des Arts du costume, dont
le Musée des Arts Décoratifs conserve les
fonds. Comme un dernier geste moderne,
celui de préserver son héritage artistique
pour le transmettre et permettre ainsi que
l’histoire continue, intemporelle, celui
d’avoir vécu son art comme le lieu fécond
des croisements les plus inattendus et les
plus fertiles.